mardi 26 avril 2016

#87 - Une bribe du soir où une fois encore je ne me suis pas couchée de bonne heure

Le réveil planifié pour 7h30. Puis 8h. Puis 8h30. Frou frou frou, les petites aiguilles. 
Il est 1h30, 2h, 3h, 4h du matin, il est déraisonnable moins le quart. Parce que demain il faut prendre la route, parce qu'envie d'être en forme pour les retrouver. Mais en remontant le cours de la soirée, je ne vois pas très bien où il aurait fallu couper. Le travail ? Non bien sûr. Les courses pour le repas du lendemain ? Pas plus. 

Et puis les heures à discuter dehors. 
Ecouter. Essayer de comprendre. 
Parler de ce que c'est que la violence. De l'éducation. De comment agir et dans quel but. 
Regarder les gestes de ceux qui sont d'accord, ou pas, qui ont une autre proposition, qui trouvent qu'on se répète, et ceux du m'sieur qui fait signe que le temps de parole est bientôt écoulé.
Ecouter l'homme qui parle de "Science Debout". 
Ecouter un autre homme qui retricote en vrac tous les coups durs, ceux qui ne m'ont jamais heurtée, et l'émotion de ce qu'il dit, de la confiance -confidence. 
Ecouter cette femme qui explique ses choix éducatifs. 
Voir avec effroi ce mec visiblement alcoolisé qui prend une jeune fille à partie, l'insulte copieusement (et tout y passe, revendication d'une plus grande légitimité par l'âge, sexisme, slutshaming, grossophobie,... ).
Ecouter cet autre homme tandis qu'il prend une guitare pour ne pas lui en coller une. 
Attendre d'être sûre que ça ira pour elle avant de finir par partir. 

Et en rentrant, il y a encore le plat pour le lendemain qu'il faut faire. Cuire. Le sac à remplir. Le brin de ménage. 

A déraisonnable moins le quart, rien n'est à regretter. 

lundi 25 avril 2016

#86 - Une bribe de peinturlure

Sur le goudron, des feuilles poussent, des pinceaux jouent aux herbes folles. Des marqueurs, des gobelets, des tubes, des bombes de peinture, des ciseaux, des crayons à papier, des brosses poussent et s'éparpillent. 
Certains flâneurs se connaissent, d'autres pas. 

En arrivant dans cette cour aux airs de jardin, tous sont là déjà, ou presque. Il faut réviser les prénoms. Se faire la bise comme si on se connaissait. Il faut... ne pas trop savoir par où commencer. Prêter un crayon ici, une gomme là. Reluquer les feuilles A2, ou la tapisserie ; ça paraît grand. 

Alors, on pioche A4, et on plonge seul, au crayon, comme pour ne pas déranger. Ca paraît un peu ridicule, alors on récupère un pinceau et on trace maladroitement le fond et la forme, la feuille et les lettres. On fait des oranges de couchers de soleil et des bleus à croire encore aux lendemains. On fait des verts dans lesquels se rouler, des rouges pas trop sanglants mais quand même francs du collier. Et du noir, oh du noir à s'envoler, noir sans fond des pupilles et des ongles incarnés.

A côté, il y a le carnet des mots qu'il faudrait faire rayonner, résonner, RAISONNER. Radoter peut-être. Ce sera l'obole modeste apportée au trésor collectif, des mots qui empoignent. 

Il faut toujours viser la tête. 

A côté des couleurs qui s'étendent comme un dallage brouillon sur le goudron, ça rit et ça discute. Un autre genre de dallage, tous ces gens qui ne se seraient jamais rencontrés. Brouillon mais pas sans cohérence. 

En repartant, une craie est serrée dans le poing. Il ne reste qu'à se rejeter à la ville et à lui en faire voir de toutes les couleurs. 

mercredi 20 avril 2016

#85 Une bribe de la difficulté qu'il y a à écrire les sensations

La vacance est étrangement pleine. Intensité qui coincide avec l'espace libéré. Le corps habité, dansant, les pas allant devant, en sautillant. Et l'épaule, et la nuque qui jouent aux déliés. Les hanches qui s'arabesquent. Sentir que rien n'est plus dilué, qu'au contraire, l'énergie s'enroule, pure, jusqu'aux creux des poignets. Désir d'écrire. 
Oui mais voilà, à force de micro-danser, de regarder et de marcher, rien ne sort plus au bout des doigts. Comme si l'émotion esthétique colorait si complètement la vie qu'il ne restait aucune place pour les mots. Ca frustre, parce qu'il faudrait pouvoir partager tout ce qui vrombit. "De la lumière à en déchirer la nuit" chante le Monsieur d'Eiffel dans le casque. Comment on dit ça, les sensations de la vie concentrée qui bat la campagne et qui renverse les vagues habiletés à parler ? 
Rien de spécial pourtant. Les jours sont ce qu'ils ont toujours été. Et pourtant, quelque chose irradie dans le quotidien incroyablement banal. Peut-être que c'est le retour de la clarté, le printemps tout simplement. Reste le désir, né de l'écart. Impossible d'écrire, et voilà que je tends les bras. Que je me contorsionne pour essayer de rejoindre une page un peu moins blanche. 

A défaut d'écrire, peindre, en écoutant du rock. Histoire que quelque chose à l'extérieur sache sur quelle longueur d'onde jouent les jours. 


mardi 19 avril 2016

#84 - Une bribe de glissade

En allant se promener le matin, la terre est humide. Arrivées au dessus du village d'antan, la vue, celle qui se cachait en novembre. Et la chaussure qui dérape de temps en temps sur la boue lisse. Sans trop avoir la trouille. 
Et ça ressemble aux jours, ces glissades auxquelles on accorde une confiance circonspecte mais amusée. 

#83 - Une bribe de visite

Un passereau et un geai, discutent entre les vignes.
Et les silences ne font pas peur.

#82 - Une bribe d' "Une Chienne" de Mouawad

"Ne t'occupe de rien, dévore, dévaste et que ce qui t'emporte t'emporte" dit Oenone.

Un peu plus loin, Phèdre répond : "Je ne suis pas folle de ce que je délire. Je suis folle de ce que je ne délire pas et que je ressens, là, comme une pierre."

Toujours Antigone. Toujours Baal.
Toujours. Ou encore ?

samedi 16 avril 2016

#81 - Une bribe de douches

Des coquelicots flous s'ouvrent sur l'émail de la baignoire, presque aussi beaux que les œuvres de Patricia Cartereau. . 

Des discussions fleurissent sous les plocploc de l'eau qui tombe des gouffres dans la bâche. Sous la nuit qui goutte allègrement, re-constituer le monde. 

La journée se gorge de pluie, se rouge-gorge et s'enfuit.


#80 - Une bribes de frontières débarbelées

Sur le marché donner des tracts.
Mais avant de rencontrer les autres, il faut se confronter à soi-même. Constater, un peu gêné, quels sont les barrières, les clichés, les préjugés. A qui on s'adresse plus facilement. A qui on n'ose pas parler. 

Il faut alors prendre les barrières à bras le corps, les déplacer. Quand elles ne bougent pas, les enjamber. 
Il faut débarbeler les frontières qui empêchent qu'on se cause, enfin. 

Rien n'est évident mais ça avance, un orteil à la fois. Une rencontre après l'autre. 

*
"T'es là, amiga ?!"
Rien que pour ce salut là. Et la poignée de main qui l'accompagne. 
Il faudrait faire le portrait de cet homme, en mots au moins. Mais il serait délicat de ne rien trahir. Il y a des gens qui échappent à toute fixation, fût-elle poétique. 


Sur la place, au milieu de la nuit, il parle robotisation, accélérationnisme. Je réponds territoires délaissés, savoir faire. 
"Il y a un bouquin là, sur les drones, dit-il. 
- Oui, celui de Chamayou ? 
- Voilà !
-  On me l'a offert.
- Oh ! T'as de la chance qu'on t'offre des bouquins comme ça"
Grave. 

#79 - Une autre bribe debout

Il y a toujours ce moment de l'arrivée, délicat. Mais il y a ceux qui repèrent le regard hésitant et perdu.
Petite ville cette fois. Pas question de se fondre. Il va falloir assumer.
Rencontrer. Parler. Attendre. Observer. Entendre. Réserver. Exprimer.

Penser à revenir le lendemain.

jeudi 14 avril 2016

#78 - Une bribe de retrouvailles

On ne s'est pas vues depuis longtemps. Et c'est bien de se rejoindre là. De découvrir ces trajectoires étrangères, mais pas si lointaines. 
Et puis le langage commun que l'on retrouve d'instinct. Déroutant quand on ne sait plus vraiment qui est l'autre aujourd'hui, et de quoi se fait sa vie, factuellement. 

"C'était bien ce café avec toi." 

#77 - Une bribe de claque

Heures d'indulgence totale. Tout s'autoriser. Laisser les envies mener le corps, les pas. Se laisser trimbaler dans la ville au gré des humeurs. Elle revêt alors ce visage radieux des lieux ouverts dans lesquels tout devient à la fois ferme et fluide. Même le manque de souffle en arrivant en haut des jardins du rosaire luit et respire.  Tout concorde soudain, c'en est presque inquiétant. Le verre de chouchen claque le bleu de la table, Le vert tremblant des feuilles caresse la pierre blanche du balcon des Beaux-arts, la fleur-coeur que le serveur trace dans le café tient parfaitement face au glaçage du carrot cake. 

Triple claque. 

Quand on a dix sept ans de Téchiné. Le trouble, la lumière, la douleur du désir, la neige. Le chaud froid souffle dans la salle, les poings et les baisers. 

Une Chienne, de Mouawad. Phède, Oenone, Aphrodite et Marie. Il y a tellement en peu d'espace qu'il faudra digérer. 

Une trop bruyante solitude de Hrabal mis en scène par Cyril Tournier avec Michel Laforest. Je découvre ce texte d'un auteur rencontré avec le roman Jarmilka. Un homme sauve des livres de la presse d'une usine de recyclage. Il les lit.Parfois, il les berce jusqu'à la destruction. Il boit des bières en attendant d'être lui-même écrasé. Inefficace. Peu rentable. Sa cadence devient insuffisante.

Triple claque. 
Sortir, sonnée, forcément. Et rentrer toute rougie dans le ciel qui a l'air de descendre ses couleurs jusque sur les joues. Nina Simone chante "If I die, and my soul be lost... ". Autour, il y a la beauté incroyable de cette ville que j'aime si fort, que je connais intimement mais que j'ai quitté il y a déjà longtemps. Qu'est-ce qu'on avait mis comme temps à s'apprivoiser. Maintenant, j'ai envie d'y tournoyer. Il y a un genre de joie ruisselant dans chaque cellule, tandis que je marche vers l'appartement. C'est presque douloureux Doux. L'or. Heureux. Houleux. Doulouheureux ou quelque chose du genre. 

Il est trop tôt pour dire si cette journée sera aussi déterminante qu'elle paraît l'être. Mais tout a concordé. 
On discute un peu et puis on peut aller dormir. Claqués. 

mercredi 13 avril 2016

#76 Une bribe de léthé

Dimanche matin, le long du tram, au soleil, croissants à la main. 

Plus tard, fou rire sur le canapé.  

Plus tard, sur les quais, des mots qui voguent au rythme du Rhône.

Plus tard, arriver exactement en même temps, place Guichard. 

Plus tard, couper des têtes à Guillotine, en regardant Kaamelott. 

Au soir, l'impression tenace que c'est l'été. 

Léthé, léthé... voilà que tout est oublié. 
Il faudra remonter à la nage le fleuve d'oubli jusqu'au mois de juillet. 

mardi 12 avril 2016

#75 Une bribe debout

Il y a du monde.
Il faut traverser la ligne de Robocops, vélo en main, pour le rejoindre. En l'attendant, les gens passent. Les jeunes, écharpes sur le nez, les plus âgés en chasuble. Les anonymes. L'accordéon dans cet angle où je peux mesurer l'ampleur du cortège, d'où je peux estimer la cohorte des fourmis qui fait un peu de sang noir dans les artères de la ville. 

Plus tard, elle arrive en souriant. La place n'est pas très loin à pieds. Elle se remplit tranquillement, comme une clepsydre nourrie de la nuit. Et se vide ensuite à la lune. C'est un peu brouillon et en même temps incroyablement organisé. Les quantités de légumes coupés et mixés, le drap tendu pour projeter Merci Patron ! et les sonorisations. 

Il n'est pas si facile d'y croire. C'est un peu long, et on répète parfois les évidences. On reste dans une forme d'entre soi. Oui, mais ça a le mérite de se construire, les discussions, de se tisser. 
Il y a du monde, déjà. 

#74 - Une bribe princesse Amidala

Tout crie, aujourd'hui, le sens que ça a d'être ici, avec ces gens.
 Ces gens avec qui décider au dernier moment d'aller manger au terrasse parce qu'ils fait beau. Ces gens qui racontent à la récré avec beaucoup d'humour comment ils ont reçu le kit Ess-ème (éviter les robots) destiné à un homonyme de la même commune. Ces gens qu'on croise par hasard en ville et qui racontent leurs rêves récurrents. Ces gens qu'on retrouve quand même en souriant, même si on s'est dit au revoir tard la veille. Ces gens qui interpellent joyeusement pour dire que c'est joli. Ces gens qui parlent des pièces de théâtre de la veille. Ces gens qui lisent des horoscopes en faisant des blagues douteuses le vendredi après-midi. Ces gens qui disent "some sugar ? no, you're the sugar" et puis ajoutent face au regard sceptique et amusé "franchement, sans poésie, ça vaudrait quoi la vie ?".

Ces gens avec qui vraiment, je me verrais bien travailler plus longtemps. 

jeudi 7 avril 2016

#73 - Une bribe de jeudi surchargé

Commencer à travailler vers 8h. S'arrêter à 22h et des poussières. Quelques césures, des jolies.

*

Au milieu, nous partîmes pour trois livres à aller chercher au CDI, à la bibli, à la librairie.
Mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 4 pièces de théâtre, 3 romans, une revue et un recueil de poèmes en arrivant au port.

(En être faussement désolé)

*

Journée ras bord, mais sans ras le bol.
La chance aux cours tapés au soleil, au repas du bistrot belge à s'émouvoir en relisant pour le travail cette pièce connue par corps, aux collègues qui parlent de bouquins et de poésie (encoreencoreencore).

*

La fatigue semble se porter toute seule pour une fois.
Léger léger

Souffle (ffffffffff)

Les épaules redressées.



mercredi 6 avril 2016

#72 - Une bribe de Sebolavy

Grand soleil sur le jour. 

*
Ces jours, j'ouvre mon casier avec l'espoir fou que les grandes enveloppes marron qui annoncent des heures et des heures penchées au bureau à rougir sans relâche aient fini par se volatiliser. Elles restent là, ostensiblement, même pas dissimulées par un énième arrêté, ou un tract syndical. Ce matin, en ouvrant, il y a la BD dont nous avions parlé avec un collègue. C'est un bon début. J'embarque les enveloppes : avec la BD, c'est moins lourd à porter. 

*

Les corvées sont terminées pour le moment.  (Les enveloppes sont intactes, bien sûr, on y pensera plus tard). Il ne reste qu'à cuisiner de la vitamine D à coup de Perrier citron en terrasse, pour amorcer l'après-midi. Se donner des nouvelles avec Mélie même quand la connexion a l'air de rejoindre sa contrée en bicyclette.
(La longue discussion avec Celar toujours làlàlà)
Puis faire toutes ces choses du quotidien si valorisantes parce qu'elles ont une fin nette, qu'elles font une différence immédiatement visible, au contraire du travail souvent souterrain et sans limites. Ranger, faire le ménage. 
Semer des graines en mettant de la terre partout. 
Semis soucis. En terre, savoir que ça donnera du jaune, de l'oranger ensoleillé. 
Lire la Bd au soleil en écoutant le dernier Mickey 3D. 
Rallonger les rêves, leur donner corps. Aujourd'hui incarné et coloré. 

Ces beaux lavis. 

#71 - Une bribe de conversations croisées

Quelqu'un demande ce que signifie LOL, en buvant de la tisane, autour de la table. 

"Laughing out loud ! Eclats de rire, quoi. 
- Dis, c'est du romarin ? 
- Non, c'est de l'anglais."


(Se demander ce que ça donnerait, parler le romarin.)

#70 - Une bribe de lundi surchargé.

C'est plein à craquer, mais on pousse les obligations sur les bords de la nuit.
Pour rire un peu, quand même.

#69 - Une bribe d'autoroute

Changer d'itinéraire pour rentrer à la maison. 
L'autoroute, ça va plus vite, c'est vrai. Mais ce n'est pas le critère décisif ce jour là. Pourtant il y a le tas de travail qui attend et qui braille son cri de sirène stridente, celui qui donne envie de se balancer par dessus bord. On l'entendrait partout, même à une centaine de kilomètres. 

Ce qui décide, aujourd'hui, c'est de savoir qu'il y a cet endroit où le goudron plonge dans la roche et nous donne l'espace d'un instant l'impression que c'est simple, que ça va tout droit, qu'il y a une route tracée. Qu'on va d'un point A à un point B. 
C'est de savoir qu'il y a cet autre endroit où le goudron semble s'envoler, et qu'on regarde les forêts, les villages d'en haut, comme sur un rail aérien. Comme si on se jetait dans l'air. 

Pink Floyd, le live Pulse qui a bercé une partie du lycée. Aucune nostalgie, même quand les notes familières reviennent. "The grass was greener, the light was brighter..."

Même dans ce temps de novembre, barbouillé de marron et de vert qui bave de boue, même si le goudron plonge dans le brouillard ou le crachin plus que dans les airs, il y a quand même la sensation que l'herbe est verte, que la lumière est franche. 

Il suffit alors de deux panneaux A4 différents pour instiller un doute. Au dernier moment, décider de ne pas tourner en pensant à la ruelle, pas si loin. Allons-y, alors, surprendre le dimanche après-midi, parler des concerts de l'été, s'affaler sur le canapé. En repartant, il fera plus clair, on sera plus fort. 

Parfois, ne pas tourner, c'est quand-même bifurquer. C'est surprendre ce que l'on attendait. 


#68 - Une bribe du Bosquet

L'interphone a à peine le temps de sonner que le buz de l'ouverture résonne. 
La porte de l'appartement un peu vieillot est déjà ouverte, et juste derrière, il y a son sourire. 

Derrière la porte qui se referme, c'est un espace qui s'ouvre. Un de ces espaces qu'on ne requiert pas assez souvent sans doute, mais qui sont nécessaires. S'accorder ce temps là, se voir, parler des jours de maintenant, d'hier. L'écouter raconter des souvenirs déjà connus, et d'autres inédits. On parle un peu de ce qui se transmet, et comment, et si ça compte. Essayer de sentir un peu mieux cet héritage invisible. Saisir parfois un reflet, dans la malice ou la colère, dans une amertume ou une indépendance. Sourire, beaucoup, refaire le monde même si on ne l'imagine pas tout à fait pareil. (Ne plus hésiter à dire le désaccord, sans s'énerver pour autant, ici aussi).Mais c'est pas l'important. 

Et puis il y a ce regard qu'elle a parfois, en disant "C'est ma petite fille" ou en tendant des provisions pour le soir. J'espère avoir hérité de ce regard là. 

mardi 5 avril 2016

#67 - Une bribe de pendules (dés)accordées

Plouf. 
Une épaule qui tombe. Une goutte qui roule. 
Shirley demande "ça va ?" et voilà que Meryl se flaque soudain au milieu de ses collègues. Et ça l'énerve, ça l'électrise, à tel point que la main de Shirley ose à peine se poser sur son épaule. Elle n'en peut plus de compter tout ce qu'il reste à faire tout en comptant le temps et de ne pas réussir à mettre ces deux pendules à l'heure. Elle pense au départ, plus tard et se demande comment tout va rentrer dans la valise trop étroite de l'après-midi. Elle pense déjà à la semaine qui suivra et aux obligations qui s'empilent. 

Tout finit par couler à flot sur le carrelage vieillot. 
Mais soudain, les mots autour reviennent à son oreille. La sensation de ridicule et d'énervement finit par se dissoudre.
 Mary lui raconte ses premières années de boulot. Denise la réconforte. Il suffit de s'arrêter là et de remettre à demain, quand il fera moins embrouillé. Dave, interlocuteur privilégié en débats divers, lui sourit. Il pensera à lui envoyer un message au milieu du dimanche. Carrie lui raconte ce que le projet qu'elle a initié à donné de beauté et d'émotion, en disant "C'est grâce à toi.". Shirley et Bonnie lui montrent que ce n'est rien. Elles finissent par la convaincre. "Range tes affaires, on va boire un verre".


Meryl a peu a peu cessé de compter les heures qui manquent. Elle compte les gestes de douceur et les mots sucrés. Sans excès, mais empreints de sincérité.
Et les pendules se remettent à l'heure. 



#66 - Une bribe sur les pavés

A la rue.
Encore une fois.

Retrouver M. en amont. Apercevoir des élèves, de maintenant et d'avant. Et puis J, pas vu depuis longtemps. Il tend un tract qui ressemble aux discussions de naguère. C.est là, seule, de l'autre côté. Et puis P. rencontré il y a peu, avec qui parler Nuit debout, Podemos, et situation de l'Espagne. Il y a aussi le groupe des anciennes collègues. Et V. de l'atelier.
Avec S. nous parlons de nos joies respectives. Celle de rencontrer des gens connus, tant. Celle de voir des visages peu habitués aux manifestations.
Il y a du monde. Beaucoup. M, J, C, P, les collègues, V, S, et les élèves. Plus tous les autres.
La joie et le réconfort, autour des rages, d'être là, ensemble, de gronder de concert, tonnerre. De Brest ou de Bresse, peu importe. Ça résonne.
Sur les pavés et le béton, le cortège laisse des couleurs qui lavent la ville de ses pollutions blêmes. Des affiches, de la peinture. Et  ça se met à parler. A nous positionner plus que n'importe quel sticker "vous êtes ici".

Sur les pavés, chercher à tourner des pages.

lundi 4 avril 2016

#65 - Une bribe de colère dégoûtée

[TW harcèlement / exhibition dans l'espace public] 


Elle arrive au cinéma un peu en retard. Le film n'a pas commencé mais les annonces sont terminées. Elle s'installe dans la partie orchestre. Il n'y a qu'un couple. Au balcon, elle ne voit pas. 

Le film démarre, s'élance.


Et puis, un homme rentre par la porte de sortie. Il n'est visiblement pas dans son état normal. Elle ne réagit pas dans l'immédiat, mais bientôt, il avance dans sa rangée à elle. Une de celles du fond. Il ne s'arrête pas, ne s'assoit pas. Il traverse, vers elle, qui sent déjà l'embarras et la colère lui monter aux joues. Et voilà, un relou. C'pas possible ça ! Ramasser ses forces en un instant. 

Il est arrivé à sa hauteur et désigne le siège à côté d'elle. Demande s'il peut s'y asseoir. Il y a au bas mot cent cinquante sièges vides. "Mais bien sûr, pense-t-elle ! Bien sûr, je viens au cinéma toute seule dans l'espoir qu'un inconnu vienne s'asseoir à côté de moi". 
"Enfin, Monsieur, voyons..." C'est tout ce qu'elle répond. Rien d'autre ne sort, alors elle met tout dans son visage fermé et agacé et dans un geste qui désigne la salle vide. 

Il consent à se décaler d'un siège.
Elle sent tous ses muscles se tendre, se contracter. Oh non, non, il ne va pas rester là... Si. Elle commence à calculer le nombre de pas jusqu'à la porte. Le nombre de rangées et de sièges entre elle et le couple de devant, un peu loin, qui ne voit rien. Rester est malaisant, mais faire quelque chose paraît soudain risqué. Elle sait qu'elle est à portée de main. Elle se demande s'il peut avoir un couteau. Elle se demande s'il y a encore quelqu'un à l'accueil du cinéma. Elle se demande si le couple de devant réagira si elle crie. Pendant ce temps, elle est figée, crispée sur son siège, et elle s'accroche à l'écran même si elle ne voit rien. 

Il finit par se lever et tout retraverser. 
Le soulagement est de courte durée. 

Il retraverse la rangée derrière la sienne et vient s'asseoir à quelques sièges d'intervalles derrière elle. Elle reste immobile, tournée un peu de l'autre côté, pour qu'il ne puisse pas entrer dans son champ de vision et qu'il n'y ait aucun doute possible à ce sujet pour lui. Elle ne le regardera pas. Son visage a plongé peu à peu dans son écharpe, comme on se recroqueville dans une coquille. Chercher une bribe de douceur, quelque chose à respirer qui n'appartienne qu'à elle. Elle se tient toujours à l'écran en n'en voyant absolument rien. Toute son attention est dans ses oreilles, puisqu'elle ne peut pas voir, il faut bien trouver une manière de rester sur le qui vive. Elle entend un bruit métallique. Une boucle de ceinture. Et une fermeture éclair. 

Nonnonnonnonnonnon. Cela s'accélère. Les questions de tout à l'heure reviennent. Le besoin de s'enfuir en courant et l'impossibilité de le faire. Elle ne sait pas vraiment si ce qu'elle redoute se produit. Elle ne veut pas entendre. Ne peut pas se retourner. Elle ne sait pas ce qui se passe vraiment. Tout bouillonne. Elle pense qu'il faudrait simplement se lever et l'afficher, l'humilier, le faire fuir. Que sans doute il faudrait parler, calmement, fermement. Ou hurler. Que ça suffirait, certainement. 
Elle ne sait toujours pas s'il y a quelqu'un  à l'accueil. Et comment le couple réagira. Et s'il a un couteau, une bouteille, quelque chose qui pourrait frapper. Elle sait qu'il a des mains, des poings. 
Elle sait bien qu'il faudrait. Mais elle ne peut pas. Paralysée. Parce qu'elle a peur, qu'elle est dégoûtée, qu'elle est en colère. Monstrueusement. Elle n'est pas sûre de ce qui se passe, mais rien que le fait qu'il y ait le doute est inadmissible. 

Elle comprend aux sons que l'homme reprend ses affaires. "Y'a pas d'action", qu'il marmonne. Il se lève et s'en va. Elle ose à peine jeter un coup d'oeil pour vérifier que la porte de sortie s'est bien refermée. Elle aimerait partir, maintenant, des fois que quelqu'un revienne. Mais elle ne veut pas partir seule, des fois qu'il soit dehors. Alors, elle se relâche dans son siège et se remet dans le film. Cela n'a duré que quelques minutes, interminables. Finalement, elle semble se reprendre vite. Et le film n'est pas mauvais. 

En rentrant, elle jette des regards alentour, ce qu'elle ne fait jamais. Il n'y a personne. Tout continue comme si de rien n'était. D'ailleurs, elle ne pense même pas à en parler, sauf à des amies vues quelques jours après. "Ce n'est pas si grave, il ne m'est rien arrivé, finalement, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, c'était juste un mec paumé". 

Pourtant, quand un autre soir, des bouffées de colère et de tristesse remontent, ce moment là lui revient. Il ne lui est pas rien arrivé. Elle a eu terriblement peur, elle s'est sentie vulnérable. Avec cette conscience là, elle craint ce qui pourrait arriver en parlant. On lui donnera des conseils. Ce qu'elle aurait du faire. Qu'elle aurait du crier, appeler quelqu'un, se rapprocher du couple, être cassante, ne pas se laisser impressionner. Et puis elle n'est pas sûre de ce qu'elle a vu. La boucle de ceinture et la fermeture éclair, est-ce qu'elle est bien sûre ? C'était peut-être autre chose. Elle a peut-être imaginé, pas compris. D'ailleurs qu'est-ce qu'elle faisait seule, au cinéma, un soir ? Hein ? Et pourquoi elle n'avait rien pour se défendre avec elle ? 
Elle craint qu'on lui dise ce qu'elle s'est déjà dit, tout en sachant que ce n'est pas juste. Qu'elle n'a rien fait de mal. Et qu'elle a le droit de l'avoir mal vécu. 

Les conseils pour ne pas se faire "embêter" comme on dit poliment, elle les a entendus dans des dizaines de bouches, en public, en privé. 
Elle se demande simplement combien de fois on lui a expliqué, à lui.

*

Elle. 
Je. 
Peu importe l'énonciation. Presque toutes les femmes que je connais ont déjà vécu cette forme là de peur, cette même angoisse, dans des centaines de circonstances différentes.

*

(ElleJe a fini par en parler. Et tout le monde a compati, sans conseil déplacé. Se sentir tellement aidée-mée)