vendredi 2 mars 2018

#141 - Une bribe de décalage

[Une bribe s'est enfuie, alors je rattrape la 141 par le col et je la ramène par ici]

Soudain, l'équilibre oscille comme une flamme fragile. Devant les pieds il y a un infime espace, un millimètre à peine. 
Un millimètre entre le corps et le monde, entre les mots et la ronde. 
Les mains sont trop loin, d'un millimètre vertigineux qui nous sort de la danse. 
Un millimètre c'est assez pour glisser une paroi de plexiglas ou une vitre de train dégueulasse.
C'est confortable, on peut y poser le front, trouver quelque chose de stable quand ça tangue trop, et qu'on est près de tomber. 
En dehors du monde, d'accord. Mais appuyé contre une limite plus solide que les contours indiscernables qui se froissent autour. En dehors du monde, d'accord, solidement planté en retrait, à regarder. A s'excuser de plonger parfois le nez dehors. Dedans. Au milieu de la vie qui tourne. 

Avant. Tout le temps. Construire des vitres autour en acceptant que la lumière soit tamisée. Faire que tout soit moins sensible, moins brutal. 
Et puis, casser, enlever, défaire, un grain de sable après l'autre. 
Plonger la main dehors, la glisser dans d'autres paumes en ayant la trouille de les griffer avec les ongles. Avec la crainte de sentir les peaux lisses se rétracter sous la peau rêche.  Avec la peur des poings dans le bide, des mots qui projetteraient à nouveau la paroi. 
Apprendre à glisser aussi le bras, et l'épaule, le torse, tout le reste jusqu'à la tête dans le manège flou et grisant. Avoir tellement observé qu'on peut se débrouiller, faire comme si on comprenait, comme si on savait faire, nous aussi, la vie. 


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